L’atelier de Nara Yuki est divisé en deux. Un large espace est dévolu à l’atelier de céramique au sein de l’atelier familial de poterie, dans la filiation duquel il s’inscrit de manière originale. L’étage supérieur est un studio d’architecture, où il élabore plans et maquettes de bâtiments, mais également les algorithmes qui servent de base à ses œuvres en céramique. Une journée de travail consiste en un va-et-vient entre ces deux espaces, qui génère un réseau d’influences mutuelles entre les deux disciplines : l’idée architecturale est d’abord modelée en terre avant d’être clarifiée en une maquette ; chaque pièce de céramique a été préalablement conçue selon une géométrie architecturale.
Les œuvres en céramique ne ressemblent en rien au style qui a rendu sa famille célèbre – les bols à thé brun clair portant la trace de la main de leur auteur. Les céramiques de Nara Yuki ont une fonction pratique : ce sont des vases, qui permettent un dialogue privilégié avec les arrangements floraux les plus inventifs. Autant leur glacis est uniformément blanc, autant leurs volumes sont complexes : autour d’un petit contenant modelé dans de la terre, des dizaines de tranches de la même terre, chacune préalablement découpée au pochoir, sont disposées tels les rayons d’une hélice autour de leur moyeu. Une longue cuisson suivie d’une application répétée de glacis permet à la composition complexe de tenir.
Le résultat est étonnant. Chaque vase consiste en la décomposition en strates d’un volume géométrique. Chaque point de vue sur le vase en offre une appréhension nouvelle des contours et du relief, comme si une modélisation mathématique rendue dynamiquement sur un écran d’ordinateur s’était figée en une incarnation matérielle. On y perçoit le souvenir des modèles mathématiques qui ont fasciné les artistes dans le premier tiers du XXe siècle, ainsi qu’un intérêt marqué pour les expérimentations de l’op art. Or la référence formelle principale de Nara Yuki est la poterie Jōmon, dont on dirait qu’il a reporté le contour tout en l’évidant. Un examen plus minutieux nous apprend que le glacis blanc habillant chaque vase est bien moins uniforme qu’il n’y paraît, une fois passé l’étonnement de la rencontre avec ces formes inattendues.
C’est ce qui renforce l’impression, quasi aérienne, de légèreté qui émane de chaque œuvre.
Par son recours aux technologies de modélisation et sa liberté vis-à-vis du matériau employé, Nara Yuki ouvre de multiples brèches dans l’art de la céramique. Chaque œuvre inscrit des techniques manuelles ancestrales dans un champ nouveau : celui de l’abstraction.
Nara Yuki est né en 1989 à Kanazawa (préfecture d’Ishikawa), dans la famille Ohi, une célèbre lignée de potiers ayant élaboré sur onze générations un style propre de bols pour la cérémonie du thé, que l’on reconnaît entre autres à son glacis brun (ameyū en japonais), hérité du style raku de Kyōto (connu pour la production pièce par pièce de chaque bol, sans tour et cuit individuellement). Son cursus en architecture à l’Université des arts de Tokyo associé à sa formation familiale ont permis cette interprétation novatrice de la céramique.
En collaboration avec la Galerie Mikiko Fabiani
